Série « Cambodia Tourist Tour » (Angkor) – 2018
Drôle d’histoire, dans mon parcours, que cette aventure cambodgienne. C’était pourtant tellement bien parti… Au départ, comme toujours ou presque, il y a une pulsion architecturale. Dont le point d’effervescence est le temple de Ta Prohm à Angkor, fusion improbable de la pierre et du végétal, enchevêtrés jusqu’à l’intime, jusqu’au vertige. Ces images sidérantes de constructions titanesques englouties par la jungle, figures désormais familières de notre inconscient collectif mondialisé depuis la redécouverte des temples d’Angkor à la fin du XIXe siècle, se sont installées de longue date dans mon imaginaire artistique. À telle enseigne qu’en 2015, allez, hop, je décide d’en faire la matière d’un nouveau chapitre de mes aventures architecto-picturales.
Sauf que cette fois, rien ne se passe comme je l’avais imaginé. C’est une déconvenue, brutale. Trop loin, trop chaud, trop compliqué, trop de matériel à acheminer. Et, surtout, trop de monde. Des masses de monde. Des foules sans fin du soir au matin, comme une litanie. Et pas d’échappatoire. Oui, Angkor et ses temples font effectivement figure de joyau englouti. Mais englouti sous les nuées touristiques – pour ne rien dire des pollutions visuelles et sonores. À chaque fois que le cœur d’un temple s’affiche dans le viseur de mon œil, je suis parasitée par un selfie, gênée par une tablette ou contrainte de me déplacer par le contenu d’un bus qui se déverse soudain comme catapulté sous la pression du nombre… Du coup, détournée de mon intention première par ce tourisme superlatif, mon voyage prend une autre tournure : je me résous à démolir mes façons habituelles de travailler et j’opte pour une observation sarcastique et néanmoins lucide – moi aussi, après tout, je suis une touriste – qui me conduira après coup à revisiter, en atelier, mon rêve angkorien failli.
C’est le sens des neuf toiles qui composent ce “Cambodia Tourist Tour”. Restituer a posteriori ce qui justement a fait voler en éclats mon inspiration initiale : témoigner de la beauté des temples, oui, mais avec une pluralité d’échelles et d’angles de vue, à la manière d’un cadrage photographique qui se serait affranchi des convenances. À la limite de l’absurde. Un absurde assumé, bien sûr. J’ai bien conscience d’avoir mis à mal un sujet magnifique. Pas simple de démolir quelque chose d’aussi beau, d’aussi puissant. Il y a un apport incongru et peut-être même dérangeant dans ce que j’ai restitué. Mais il fallait que j’aille jusqu’au bout de mon projet et transcrire exactement ce que j’ai ressenti. Voilà qui est fait
9 peintures inspirées de ma visite des temples d’Angkor – acrylique sur toile – 120 x 120 cm – 2018